L’origine, une création ! – Nathalie Crame

©Dominique Sonnet - https://www.dominiquesonnet.be/

« Je n’étais pas là la nuit où j’ai été conçu. Il est difficile d’assister au jour qui vous précède. Une image manque dans l’âme. Nous dépendons d’une posture qui a eu lieu de façon nécessaire mais qui ne se révélera jamais à nos yeux. On appelle cette image qui manque “l’origine”. » [1]

Pascal Quignard, par ces mots, indique la part d’énigme et d’impossible que les origines comportent pour lui. Il en fera un magnifique ouvrage La nuit sexuelle. Il y fait preuve d’une recherche intense sur la question des origines. Les images qu’il nous propose nous viennent de tous les temps, de tous les lieux, de tous les grands noms de l’histoire de l’art. Il nous livre également, et c’est en cela que Pascal Quignard est un chercheur acharné, une série conséquente d’œuvres d’art d’anonymes. Par son titre et son propos, il ne détache point la question des origines du sexuel et donc du désir, du malentendu et du réel en jeu.

Certes, l’image manque mais aussi le sens et la réponse comme le montre l’installation réalisée par Christian Boltanski en 2017. Et si, comme vous pourrez le lire dans ce numéro, sous la plume de François Ansermet « la question de l’origine peut être une source infinie de malentendus », c’est justement face à l’impensable, à l’absence de réponse possible que l’artiste se met au travail. C’est ainsi que nait l’idée originale de Boltanski d’installer de grandes trompes dans le nord de la Patagonie afin de capter le son des baleines qui, selon la mythologie amérindienne, connaissent le mystère des origines, le début de l’histoire. Voici ce qu’il en dit :

« Comme j’ai posé beaucoup de questions à beaucoup de gens, comme j’ai beaucoup réfléchi et espéré comprendre ce qu’était le début de l’histoire, j’ai voulu poser ces questions aux baleines […] les baleines ne m’ont pas répondu » [2] mais « Un jour, une tempête détruira cette installation, il restera peut-être l’histoire d’un fou qui a tenté de communiquer avec les baleines. » [3]

Ce qui restera donc, ce sera une histoire, une transmission d’impossible !

D’histoire, il en sera effectivement question dans ce numéro avec le film Private Life, portrait « d’une civilisation ordonnée à partir de la production en masse d’objets-promesse de satisfaction qui manqueraient, laissant le parlêtre aux prises avec le réel de la vie, du sexe et de la mort » qu’analyse Neus Carbonell pour nous.

Faire œuvre de création à partir d’un impensable, n’est-ce pas la voie qui se dessine dans le parcours d’une analyse en sachant qu’« il ne pourra jamais être rendu compte du point de réel qui constitue l’origine subjective de chacun ». [4]

 

Bibliographie

“[…] Quoi qu’il en soit, les PMA forcent à penser la procréation dont on n’a habituellement pas de représentation. On a une date de naissance, pas une date de procréation. Elles obligent à penser l’impensable, à se représenter l’irreprésentable. En cela, les PMA sont une fausse réponse à une vraie question, à une question impossible, celle de l’origine et de la procréation. C’est là, la source principale des vertiges qu’induisent les biotechnologies, qui pointent justement le réel autour de quoi tournent les liens familiaux. “

Ansermet F., « L’envers de la procréation », La Cause freudienne, n°65, 2007, p. 34.

 

Photographie : ©Dominique Sonnet – https://www.dominiquesonnet.be/

 

[1] Quignard P., La nuit sexuelle, Paris, Flammarion, 2007, p. 11.

[2] Lequeux E, « Christian Boltanski : devenir artiste pour conjurer la folie », BeauxArts Magazine, 4 décembre 2019, disponible sur le site BeauxArts : https://www.beauxarts.com/grand-format/christian-boltanski-devenir-artiste-pour-conjurer-la-folie/

[3] Bordier J, « Christian Boltanski : Il faut attendre et espérer », L’ExpressDix, 28 octobre 2019, disponible sur le site de L’ExpressDix : https://www.lexpress.fr/culture/interview-christian-boltanski_2105094.html

[4] Laurent É., « Protéger l’enfant du délire familial », La Petite Girafe, n° 29, avril 2009, p. 7.