Le désir d’enfant ne cesse pas d´insister chez l’être parlant, au-delà des contingences des rencontres et du destin de l’espèce. Je le constate dans la vie quotidienne aussi bien que dans ma pratique analytique.
J’ai toujours reçu de jeunes et moins jeunes femmes en analyse fort animées et troublées par le désir d’« avoir » un enfant, mais aussi parce qu’elles n´avaient pas encore eu d´enfants, voire avaient dépassé l’âge d´enfanter. Quelques-unes de ces femmes vivent ce manque d´enfant comme une faute, d´autres croient qu´elles ont raté leur vie.
Il y a aussi le cas de femmes enceintes dont la grossesse est brusquement interrompue par un accident extérieur, ou par une cause interne, comme la malformation du fœtus.
Les femmes en manque d’enfant se reprochent ou reprochent à leur partenaire leur infélicité ; certaines accusent le mauvais sort, d’autres encore incriminent les hommes qu´elles ont rencontré, qu’elles ont parfois voulu garder sans tenir vraiment à eux, mais qui les ont laissées tomber.
Déçues par ces expériences douloureuses, quelques-unes de ces femmes décident d´utiliser un homme comme « donneur de sperme » occasionnel ou recourent à un laboratoire spécialisé et font appel à la procréation médicalement assistée, seul moyen pour elles d´accomplir le désir du rêve d´enfant. Biotechnologie merveilleuse, certes, mais qui reste encore trop chère, trop compliquée et qui ne marche pas à chaque fois.
Bien entendu, le désir d´enfant concerne aussi les hommes. Par exemple, certains se sentent impuissants de ne pas arriver à se réaliser en tant qu’hommes par cette voie. De temps en temps, j’ai constaté cela chez les hommes de couples catholiques, pour qui peupler la terre d´enfants est aussi plaire au Créateur.
L’homme est non seulement concerné par le désir d´enfant, comme par la gestation, l’accouchement et l’après. Le rapport au signifiant « enfant » et donc au signifiant « père », transforme forcément le rapport de l’homme au monde.
Quand le désir d’enfant s’accomplit, on peut souvent assister à la joie de ceux qui sont finalement parvenus à engendrer – ou à adopter – un petit d’homme. C’est le point de départ des soucis qui vont suivre, parce que la venue au monde d´un enfant est toujours un attentat à la paix et la tranquillité de la famille.
Freud a aussi expliqué que le désir d’enfant est narcissique, quand il sert à nier l’angoisse de castration chez l’homme ou quand il est motivé par l’envie du pénis chez la femme.
Lacan a enseigné que ce désir est fondamentalement causé par l’action du signifiant sur le spécimen, plus spécifiquement par l’objet perdu que le bébé remplace à l’occasion et en vain pour chacun des parents.
Ceci fait de l´enfant un symptôme du couple parental, qui n’est plus uniquement le couple hétérosexuel. Les bébés-éprouvette, le mariage pour tous et l’adoption d´enfants par les couples homosexuels ont non seulement obligé à changer la législation en vigueur dans plusieurs pays, comme à modifier les descriptions binaires déterminées par les identifications des différents genres à un sexe ainsi que par un choix d´objet stéréotypé.
Les explications du désir d´enfant comme effet majeur de l’hétérosexualité se sont avérées peu pertinentes parce que ce désir existe aussi chez les membres des communautés LGBTQI.
Les effets du discours de la science et du capitalisme sur l´ancienne hétéro-normalité et le nouveau marché de la sexualité ne suffisent toutefois pas à expliquer le malaise dans la civilisation que traduit le nombre croissant des divorces, les reconfigurations des parentalités ou la baisse de la natalité dans les pays dits « développés ».
Ce malaise ne s’explique pas non plus par la seule libération des mœurs et l’illusion du libre choix de l’individu, promise par la séparation définitive entre la procréation symbolique et la reproduction biologique.
L’Amour du Père qui interdit l´inceste maternel ne marche plus comme avant. Un impératif surmoïque pousse maintenant à un bonheur sans entraves ; et de nouveaux fantasmes ont été mis en scène dans une société de consommation chaque jour plus livrée aux comportements addictifs.
Mais le problème crucial reste que le désir et la jouissance ne font pas la paire.
Le traumatisme demeure comme trou dans l´automatisme du signifiant. Le discours analytique ne parle que de ce trou autour duquel tourne le malentendu universel.
« Reste l’amour. L’amour que Lacan n’arrache pas à sa racine imaginaire quand il dit que ledit amour donne l’illusion du rapport sexuel. C’est ce qui distingue en propre la jouissance et l’amour. Il y a une jouissance à parler d’amour, à faire l’épreuve de l’amour, à écrire des lettres d’amour – ou des mails, évidemment. Cette jouissance-là est celle qui est à la fois la plus loin et la plus proche, topologiquement, du rapport sexuel qui n’existe pas [1] ».
L’amour du troumain est le seul qui ne bouche pas le trou qui trouble l´humain et qui n´essaye pas de remplir son vide avec une image de soi ou un Idéal du moi et de l´Autre.
C´est un amour qui ne parle plus au Nom-du-Père ou selon le Désir de la Mère, mais qui se limite à faire parler les sexes jusqu´à ce que la jouissance de l´Un condescende au désir de l´Autre.
Cette condescendance n´est pas mon mot de la fin. Car il y a encore le droit à être Un seul, c’est-à-dire la différence absolue : condition pour qu´il y ait une chance de faire quelque chose d´inouï avec son symptôme.
Photographie : ©Dominique Sonnet – https://www.dominiquesonnet.be/
[1] Miller J.-A., « L’économie de la jouissance », La Cause freudienne, n° 77, 2011, p. 164.