17 filles est un film réalisé par Delphine et Muriel Coulin, sorti en 2011 qui transpose à Lorient un fait divers survenu quelques années plus tôt dans un lycée du Massachusetts. Il s’agit d’un drame mettant en scène des lycéennes qui font le choix de tomber enceinte en même temps. J’ai été saisie par la grande finesse avec laquelle ce sujet est traité, autant en termes de dialogues – les énoncés des protagonistes sont d’une extrême précision – qu’en termes d’images, très esthétiques, s’approchant du registre de l’intime.
Ayant lu le thème du film avant de le visionner, j’avais en tête l’idée d’un pacte commun formé par ces lycéennes, et s’il est question en effet de faire groupe, de faire corps autour d’un projet commun, ce qui m’a vraiment touchée est la manière dont les réalisatrices parviennent à mettre l’accent plutôt sur la singularité du choix de la grossesse.
Comment chacune se lance
Une première fille prénommée Camille se découvre enceinte, c’est la contingence, d’abord sidérée elle décide ensuite de garder l’enfant. Une deuxième lycéenne, à l’écart du groupe de filles dont Camille est le leader, se déclare à son tour enceinte et se rapproche de la bande de copines. « On va être deux » lâche alors Camille à l’une de ses amies. Quinze autres filles suivront, certaines directement entraînées par Camille. Mais entraînées ou non, ce qui importe – ce sera du moins ma lecture – est que chaque Une se retrouvera seule au moment de l’acte (pour certaines il s’agira en outre de la première fois). Le film nous le montre très bien au moment de la fête, notamment au travers du personnage de Clémentine, jeune fille très mince et petite qui peine à attirer un garçon. Quelques instants auparavant, les filles arrivaient en bande, nous les voyions triomphantes ensemble, puis quelques-unes sont filmées à part lors de la séduction ou de la tentative de séduction… Clémentine se retrouve seule et finit par proposer de l’argent dans une scène suivante à un camarade lycéen. Elle est décidée, elle tombera enceinte coûte que coûte. Le garçon en question refuse tout d’abord, n’ignorant pas quel est le dessein nourri par Clémentine, puis cette dernière propose plus d’argent, 20 euros, 30, 50 ? La scène coupe sur l’hésitation du garçon et nous le retrouverons un peu plus tard dans le film aux côtés de Clémentine enceinte, l’enlaçant. A-t-il été séduit par l’insistance, la résolution de cette toute jeune femme ?
Un autre personnage, très intéressant est celui de la « meilleure » amie de Camille – amitié très fusionnelle à la limite du couple –, elle lui demande si elle voit un inconvénient au fait d’avoir un rapport avec le même garçon qui l’a mise enceinte, son enfant aurait ainsi le même père que celui de sa copine, réponse de Camille : « lui ou un autre, du moment que tu le fais, je m’en fous ». Un trio se forme alors, nous verrons dans une scène plus tardive, le garçon embrassant tour à tour les deux filles qu’il a mises enceintes.
Ces deux exemples montrent, à mon avis, en quoi chacune des filles doit trouver une manière propre de composer avec l’absence de boussole au moment de s’embarquer dans le voyage de comment faire un enfant – voyage qui est aussi celui, dans le film, de la première relation sexuelle, à une période bien particulière de la vie : la puberté, où l’absence de garantie quant à la sexualité se fait jour. « Lacan fait de l’adolescence, qu’il ne nomme pas ainsi, un temps logique, celui de la rencontre de la jouissance sexuelle et dès lors du “trou dans le réel” » [1].
En effet, dans le film nous pouvons avoir un petit aperçu de comment chaque sujet rencontre cette jouissance de manière bien particulière : la première propose de l’argent à un copain du lycée, la deuxième choisit d’avoir un rapport sexuel avec le même garçon que sa meilleure amie. « De quelle bizarrerie de la jouissance sommes-nous issus ? » [2] reprenait Alexandre Stevens lors du dernier atelier préparatoire à la JIE6 [3], citation d’Éric Laurent qu’il commente, précisant qu’« il n’y a que des désirs singuliers » en matière de désir d’enfant.
Regards
J’ai été très sensible à certaines scènes montrant chaque jeune fille seule, silencieuse, dans sa chambre la plupart du temps, le regard le plus souvent dans le vide, en proie à des rêveries, à des questionnements, à des doutes ou de l’angoisse ? Dans ces scènes, c’est d’ailleurs le spectateur qui est à la tâche d’interpréter. Ces scènes contrastent avec d’autres dans lesquelles nous les voyons en groupe, leurs corps quasi entremêlés comme lorsque chacune dessine sur le gros ventre de la copine. Puis, retour à des plans aux couleurs de singularité lors de l’échographie, le regard de chacune rivé sur l’écran est filmé en gros plan lorsqu’elles découvrent l’image du fœtus, les différentes actrices offrant alors toute une gamme d’expressions au spectateur. Si certaines expressions montrées renvoient plus directement à une signification, d’autres demeurent difficilement interprétables.
Le choix de ces jeunes filles est un mystère pour les professeurs du lycée qui lors d’une réunion tentent d’interpréter – voire pour certains de rejeter – la question que ces filles posent : pourquoi font-elles cela ? Que veulent-elles ? Le professeur de sport opposera : « j’ai un programme, moi ». En effet, le choix fait par chacune échappe à tout programme, à la compréhension même. Nous pourrions dire ainsi que le film tente de donner une représentation de l’irreprésentable et c’est en ceci qu’il est d’une extrême finesse.
Si ce n’est pas par le pourquoi que nous pouvons cerner ce qui arrive à ces adolescentes, le film nous donne à voir le comment, pour quelques sujets que l’on suit plus précisément. Prenons le personnage de Camille, la première à être enceinte, à quel moment décide-t-elle de garder l’enfant ? Juste après une déception – voire un lâchage – causée par sa mère qui s’est montrée absente et auprès de laquelle Camille ne trouve pas la possibilité de parler. Elle lancera d’ailleurs à sa mère un peu plus tard dans le film : « Je parlerai pas à mon enfant comme ça » et elle dira à ses copines qu’avec son enfant elle aura « quelqu’un qui [l]’aimera toujours d’un amour inconditionnel ».
Clémentine qui reprochera à ses parents que « tout est toujours sérieux » avec eux, qu’elle ne fait jamais rien, expliquera que Camille les avait fait rêver, le film se terminant d’ailleurs sur cet énoncé : « on ne peut rien contre une fille qui rêve ».
Nous voyons également plusieurs jeunes filles tomber enceintes dans le film, personnages dont nous ne savons rien et cela participe de l’énigme, car en réalité au-delà du repérage que l’on peut tenter de faire pour certaines figures féminines du film, la raison pour chacune de vouloir un enfant comporte sa part de mystère, sa part de réson.
Photographie : ©Laurence Malghem
[1] Marret-Maleval Sophie, « L’adolescence, un nom du désordre », Rivages, n° 26, 2019.
[2] Stevens A., « De quelle bizarrerie de la jouissance sommes-nous issus ? », Zappeur du 4 février 2021, disponible sur internet : https://institut-enfant.fr/zappeur-jie6/de-quelle-bizarrerie-de-la-jouissance-sommes-nous-issus/
[3] 6ème Journée de l’Institut de l’Enfant.