Il serait intéressant d’étudier comment se forme la culture de la naissance et de l’accouchement chez différents peuples. On découvre ainsi une forte similitude de rituels liés à la période autour de la naissance, indépendamment du lieu géographique. Parmi ces différentes pratiques rituelles, il y en a une qui retient particulièrement l’attention, c’est celle de la couvade. Ce terme, introduit par l’anthropologue Edward Tylor en 1865, vient du verbe français « couver », « rester sur les œufs afin de les faire éclore ». La couvade est un rite consistant à imiter les douleurs de l’enfantement par le mari de la parturiente. L’homme simule le travail, se met au lit, reçoit des compliments en cas d’heureuse issue de l’accouchement, prend soin de l’enfant en adoptant un rôle maternant. L’homme-père s’approprie ainsi la maternité en imitant la femme et en prenant la place de la mère (la « métaphore paternelle » à l’étape de l’accouchement).
Ce rituel, loin d’être un phénomène isolé est répandu dans toutes les parties du monde. Il répondait à des besoins majeurs de la société, à une des étapes de son évolution. Dans la tribu des Kuravan, dans le sud de l’Inde, les hommes consomment, à la place des femmes, de l’asafoetida comme un remède fortifiant après l’accouchement. C’est un exemple parmi d’autres de la coutume de couvade consistant à donner des soins post-enfantement à l’homme, souvent alité pendant quelques jours, à la place de la femme.
Chez les Indiens caraïbes, la femme délivrée reprend ses occupations ordinaires dès le premier jour, alors que l’homme se met dans un hamac, caresse son ventre et se plaint d’intenses douleurs. Le rite de couvade existait jusqu’à récemment chez les Indiens de Californie et d’Amérique du Sud, dans les îles Nicobar, dans les Célèbes et à Bornéo.
En France, en Béarn, on plaçait des vêtements paternels à côté de la parturiente afin de lui faire passer la douleur de l’accouchement. Une coutume similaire a été retrouvée en Biélorussie ainsi que dans certaines régions russes frontalières avec la Biélorussie jusqu’au XIXème siècle. L’homme dont la femme accouchait, s’habillait en robe ou en jupe, se couvrait la tête avec un fichu et se mettait à geindre. Un curieux rituel est décrit en Russie : l’époux est couché, avec un fil attaché à ses organes génitaux. Quand la femme gémit, la sage-femme tire sur le fil en faisant gémir l’homme. On observe ici la rationalisation du rite (la souffrance de l’époux étant réelle) accompagné d’un motif réel sous forme de fil, créant ainsi un lien entre l’origine et l’effet de l’accouchement. Ce fil unissant l’homme et la femme rend évident le lien de cause à effet entre le pénis masculin et l’enfantement. Il s’agit probablement ici d’un acte d’appropriation de paternité, comparable au test ADN de nos jours.
Dans un sens plus large, la couvade inclut d’autres phénomènes, tel que le respect par l’homme de divers interdits pré- ou post-nataux, mais son sens premier reste l’imitation directe de l’accouchement.
Selon une des versions, la couvade se met en place lors du passage du matriarcat au patriarcat ou bien du mariage par groupes à la monogamie, permettant d’instituer un droit de propriété du père sur son enfant. La tradition matriarcale étant tenace, les pères étaient amenés à la contrer en passant par des rites faisant d’eux une deuxième mère pour l’enfant. De ce fait, la couvade ne concerne que les sociétés devenues patrilinéaires, renforçant le patriarcalisme par l’assimilation du maternel et du féminin. De ce point de vue, le patriarcalisme radical, cette jouissance du père de la horde primitive, prend appui sur le pas-tout du féminin et brise le cadre de la loi symbolique.
Au moment du passage du mariage par groupes au couple monogame, la couvade était considérée comme une « conséquence du renforcement de la monogamie » et du soutien du modèle familial traditionnel.
Ce rituel a également donné son nom à un phénomène curieux que l’on retrouve chez certains hommes, probablement en cas d’hystérie masculine : la grossesse sympathique.
Le syndrome de couvade est un ensemble de troubles psychogènes et psychosomatiques chez un individu masculin proche d’une femme enceinte (il s’agit le plus souvent de son époux, plus rarement du père ou d’un parent proche). Les principaux symptômes sont : fatigue au réveil, baisse, troubles ou augmentation d’appétit, nausées et vomissements quasi quotidiens, constipation ou, à l’inverse, diarrhée, coliques gastriques ou intestinales, douleurs dans le bas du ventre. Ces symptômes s’accompagnent d’instabilité émotionnelle, d’irritabilité accrue, de dépression, de tension, d’insomnies, d’humeur capricieuse, d’égocentrisme aigu et de manque de tolérance. Ces manifestations surviennent généralement au troisième mois de la grossesse pour atteindre leur pic au dernier mois ou à l’accouchement. Après la naissance, le syndrome de grossesse imaginaire disparaît. Cet ensemble de troubles touche environ 11 % de la population masculine en âge de procréer. On remarque que tous ces hommes ont été élevés dans des familles matriarcales, dominées par une mère autoritaire, résolue à dicter son autorité.
L’arrivée de nouvelles technologies de reproduction dans la famille traditionnelle induit une séparation de la sexualité du couple et de l’enfantement, excluant l’un ou même les deux corps parentaux du processus de la procréation. L’enfant n’est plus un « fruit d’amour » d’un homme et d’une femme, mais un produit de processus biotechnologique. La femme n’a plus besoin de désirer un enfant de son homme, alors que l’homme n’a plus besoin de demander à l’épouse de lui « offrir » un héritier. L’enfant cesse d’être un « don » pour devenir un « produit ».
Cette situation amène à la disparition, au sein du couple, du besoin pour un sujet de répondre au désir inconscient de l’Autre, ce qui ne sera pas sans conséquence sur l’évolution du tableau clinique de l’hystérie. J’entends par là le symptôme hystérique le plus mystérieux et surprenant qui est la grossesse imaginaire. Ce symptôme était central dans le transfert entre le docteur Breuer et Anna O. Quand celle-ci, prise de « contractions », criait : « C’est l’enfant du Dr Breuer qui arrive », celui-ci, effaré, a pris la fuite. C’est bien ce symptôme qui a poussé Freud à inventer la psychanalyse et à construire la théorie du transfert.
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