Depuis 2008, je travaille comme psychologue et directrice clinique au centre de jour de soins de santé mentale pour femmes de l’ONG Fainareti.[1] Fainareti (Phénarète) était le nom de la mère de Socrate qui était sage-femme, d’où sa méthode dite maïeutique. Le centre de jour vise les futurs parents ou ceux qui le sont récemment devenus, qui sont en traitement FIV ou qui ont vécu un décès fœtal ou néonatal. Le centre de jour offre un soutien psychothérapeutique et psychiatrique ainsi que des cours et des soins maïeutiques. L’équipe interdisciplinaire est composée de sages-femmes, psychologues et psychiatres.
L’annonce d’une grossesse est souvent suffisante pour déclarer qu’il n’y a rien de tel que le rapport entre la mère et le père, avec sa famille d’origine, avec son corps, ou avec son enfant. Au centre, nous accompagnons le sujet dans ces différentes phases de la période périnatale jusqu’à un an après l’accouchement, et devenons les porteurs de l’insupportable – qu’il soit localisé dans le sujet ou dans l’Autre. Nous sommes témoins de la mise à jour continue des particularités de la jouissance qui émerge avec le vouloir d’enfant.
Les traces des fantasmes et de la jouissance de chaque sujet imprègnent les différentes phases de la période périnatale, de la naissance de l’idée à la naissance de l’enfant lui-même. Vouloir un enfant ne se traduit pas nécessairement en volonté de porter un enfant, de lui donner naissance ou de l’élever. Vouloir concevoir est différent de vouloir être enceinte, de donner naissance, d’allaiter ou, finalement, d’avoir un enfant. Une femme peut rencontrer des difficultés à concevoir, mais il est possible qu’elle ne supporte la grossesse, l’accouchement, ou son propre enfant. Je n’oublierai jamais la référence d’Ansermet à propos de cette femme qui, après des années de traitements FIV, a décidé d’avorter.[2] Un autre exemple est celui de ces femmes qui refusent de reconnaître leur nouveau-né comme étant leur propre enfant s’il est le produit d’un don d’ovule. Au nom de la loi qui défend la diversité humaine et les droits de l’homme, nous faisons face de manière croissante à la jouissance des Uns-tout-seuls (one-to-one) qui ne peut être légiférée que rétrospectivement pour subvenir aux besoins des enfants nés de toutes les formes modernes de reproduction et de parenté. Ces inventions mettent au défi le Symbolique d’utiliser ou de produire de nouveaux signifiants pour décrire la jouissance du sujet moderne.
Même quand nous avons affaire à une conception normale, il y a des femmes qui témoignent de ce qu’elles ne se sentent pas mères, à moins d’accoucher naturellement ou d’allaiter, indiquant que le fait de vouloir un enfant relève plutôt d’une jouissance de leur propre corps à travers l’accouchement et l’allaitement plutôt qu’avec le fait d’avoir un enfant lui-même. Certaines déclarent avoir été déçues parce que la grossesse n’est pas ce qu’elles imaginaient ; leur corps devient un heteros provoquant dégoût, maladie ou infirmité.
Le discours de la science moderne a rapproché la grossesse de la mort. Il est probable que le fœtus soit avorté s’il ne passe pas toute une série de tests. La FIV chez les femmes plus âgées conduit souvent à des fausses-couches ou à des grossesses multiples, avec un risque augmenté de naissance prématurée extrême ou d’anomalies chromosomiques fœtales. L’amniocentèse est plus dangereuse dans les grossesses multi-fœtales, alors que les procédures de réduction et d’avortements sélectifs mettent en danger le fœtus sain ou conduisent une femme à porter simultanément un fœtus mort et un fœtus vivant. Parfois, c’est un décision insupportable à prendre. Le discours de la science pousse les nouveaux parents à « mesurer » l’enfant, le suspectant d’être retardé dès le début de la vie intra-utérine. Souvent, l’annonce qu’il y a ne serait-ce que la plus petite possibilité que le fœtus puisse souffrir d’une anomalie, condamnera l’enfant à une position de déchet pour le reste de sa vie. Le sujet-à-venir est alors au risque d’être captif de la férocité du fantasme maternel.
Pour certaines femmes, l’expérience de la naissance peut être traumatisante, quel que soit le mode d’accouchement. Cela peut marquer le début d’une sérieuse déstabilisation, avec l’intrusion répétée d’images indélébiles de la procédure d’incision de la césarienne, l’insupportable ressenti de celle-ci, la sensation que quelque chose est extrait du corps, ou d’être violée par les médecins. Dans certains cas, nous devons discuter avec les obstétriciens pour les aider à comprendre les peurs d’une femme face à l’accouchement, ou recommander aux infirmières de ne pas laisser la belle-mère rendre visite à la patiente, si cela la rend folle.
Même quand l’affinité génétique est certaine, avoir un enfant est parfois insuffisant pour qu’un sujet soit représenté par le signifiant « mère ». L’accouchement par voie naturelle et l’allaitement exclusif au sein deviennent alors les prérequis pour qu’un sujet se considère comme mère . Le militantisme pour la « parentalité d’attachement » (attachment parenting) » ou « lactivisme » (l’activisme pour l’allaitement exclusif au sein) et le co-sleeping sont des mouvements soutenus par des partisans fanatiques qui assimilent n’importe quelle sorte de séparation à une violente coupure qui traumatise l’enfant de manière irréparable. De l’autre côté, il y a ceux qui souffrent de culpabilité parce qu’ils n’atteignent pas l’idéal de dévouement total à l’enfant.
Dès lors, nous devenons les témoins embarrassés de l’allaitement au sein et du co-sleeping qui se poursuivent jusqu’à un âge avancé dans l’enfance, puisqu’il revient uniquement à l’enfant de décider s’il désire cesser d’utiliser le corps de sa mère. La question est de savoir comment ce désir peut être produit. Malheureusement, par les grâces de la psychologie, nous avons souvent à faire à un il y a la relation mère-enfant et la mère le sait. Les mères modernes parviennent à valider leur jouissance dérégulée en consultant des manuels sur la façon de devenir un parent efficace. L’enfant, comme être vivant provenant du corps de sa mère, est susceptible de réaliser l’objet même de son fantasme. L’enfant peut très bien devenir un condensateur de la jouissance maternelle, dans ce sens que la naissance n’implique pas nécessairement l’émergence d’un sujet désirant, spécialement quand la mère devient la Loi, ne laissant alors plus de place pour le désir, selon le paradigme de l’holophrase.
Quand l’enfant est un partenaire-symptôme, un ravage ou quand il devient sinthome pour la mère, lui permettant d’avoir un corps, une identité et une destination, quel est alors l’opérateur capable d’introduire un quelconque manque ? La psychanalyse en institution propose une lecture différente de la séparation, comme non-traumatique, pour introduire du manque et émousser les arêtes de l’Idéal. Ce qui est en jeu, c’est que le sujet supporte d’être une « mère suffisamment mauvaise » plutôt qu’une mère idéale. Comme Éric Laurent le rapporte dans son texte « Institution du fantasme, fantasme de l’institution »[3], le psychanalyste œuvre pour extraire la particularité de chaque cas, sans essayer de la transférer dans le cas suivant dans une application des idéaux.
Ceci ne veut pas dire qu’une mère peut tyranniser le monde entier, qui est le sujet-en-devenir dans ce cas, au nom de sa particularité.
A ce jour, plus de 9000 personnes ont bénéficié de nos services au centre de jour, ce qui montre que les nouveaux parents obtiennent beaucoup de soulagement du discours et des soins qui leur sont proposés. La même chose se produit pour certains enfants qui commencent à mieux manger et dormir, ou à réagir différemment à leur mère. Du point de vue d’un discours qui pourrait ne pas être un Idéal, je me saisis de cette opportunité pour proposer la création d’un observatoire du vouloir un enfant et de la parentalité durant la période périnatale au sein du champ psychanalytique.
Traduction : Sacha Wilkin
Relecture : Adeena Mey
Photographie : ©Sofie Vangor – https://sofievangor.blogspot.com/
[1] Fainareti fut fondée en 2006. Son objectif est la recherche et l’intervention pour la promotion de la santé des femmes et de leurs familles en Grèce. Voir plus ici : www.fainareti.gr/en/
[2] Ansermet, Fr., La fabrication des enfants. Un vertige technologique, Paris, Odlie Jacob, 2015, p. 9.
[3] Laurent É., « Institution du fantasme, fantasme de l’institution », Feuillets psychanalytique du Courtil, nº 4, 1992, publication en ligne (http://www.courtil.be/feuillets/PDF/Laurent-f4.pdf).