Aujourd’hui, ce n’est plus l’ordre symbolique qui préside au « faire famille ». La famille n’inclut plus forcément les fonctions de père et de mère. « Ce qui domine, ce sont les modes combinatoires des jouissances des hommes et des femmes entre eux, qui entraînent une très grande variété des modes de conjugalité. [1] »
« Désormais, […] c’est la naissance d’un enfant qui crée […] la famille [2] ». Cela a des conséquences pour la clinique. Cela confère une grande responsabilité à l’enfant.
Criant haro sur les idéaux – qui impliquaient un renoncement à la jouissance –, les nouvelles configurations familiales semblent revendiquer un « j’y ai droit ». La jouissance contenue au cœur du lien familial se trouve être dénudée ou plutôt hors sens. Les enfants sont en prise directe sur celle-ci. Jouissance de la mère, mais aussi de la famille et de la civilisation.
Comme dans un rapport qui serait inversé, reviendrait-il alors à charge de l’enfant de déterminer quelle est sa famille ? Et choisir en quelque sorte auprès de qui il trouvera à se loger ? Il aura(it) à trouver ses boussoles qui vont lui permettre de s’organiser. Est-ce à partir de ces changements que de « nouveaux » symptômes voient le jour ?
Cette « exposition » à la jouissance, l’enfant peut aussi s’en rendre précocement responsable en tant que sujet, processus qui n’est pas dénué d’intérêt pour le praticien orienté par la psychanalyse.
De ce qui traverse structurellement l’assomption subjective d’un petit sujet dans le lien, Jacques-Alain Miller nous dit quelque chose : « La famille est essentiellement unie par un secret, elle est unie par un non-dit [3] », un non-dit sur la jouissance du père et de la mère, sur le rapport sexuel entre les parents. Et au-delà de cette énigme, c’est la condition humaine elle-même qui interroge : de quel désir vient-on ? Les identifications, les traditions – et leurs envers – et récits familiaux ne sont que des réponses pour appréhender les figures du réel auquel chacun a affaire. À l’occasion, réel sous les traits de prématurité, de réel de la procréation, celui de la différence des sexes, de la jouissance maternelle…
Pour traiter la rencontre avec ce réel, l’enfant va se servir au départ de lalangue dans laquelle il naît, et au monde de laquelle il naît [4].
La rencontre « avec un père ou une mère, ou plus précisément, [avec] ceux qui occupent [ces] fonctions pour l’enfant, comporte toujours un reste non interprétable, non symbolisable. Ce reste irréductible fait de la famille le lieu d’une transmission toujours symptomatique et un lieu d’interprétation inépuisable. Car la transmission n’est pas affaire d’hérédité, mais de contingence, de nomination et de désir [5] ». Bizarrerie du désir [6] dont l’enfant est issu.
De quelque façon que l’enfant naisse, il butera sur l’énigme de sa venue au monde et aura la charge de trouver sa réponse concernant le désir qui la fonde. [7] L’enfant aura-t-il l’initiative de trouver des arrangements, des inventions ? À quoi nous pouvons contribuer !
Malgré les bouleversements de la famille, le petit sujet aura la charge de trouver le moyen de loger la langue en lui. Et la contingence des rencontres avec le signifiant lui permettra de trouver des modes d’accroche de ses expériences. Dans le fond, malgré ces bouleversements, il y aura toujours, autour d’un enfant, de la naissance et du lien social. À lui de s’en emparer en trouvant la prise signifiante contingente [8], à lui de « passer alliance avec le signifiant » [9], a(f)filiation nécessaire à sa constitution subjective.
Ce malaise dans l’a-filiation nous permet de saisir d’autant plus « ce qui, dans ces déterminations multiples, laisse ouvert le choix forcé de la ‟ folie ” de chacun [10]».
Photographie : ©Véronique Servais
[1] Cf. De Georges Ch., La famille œdipienne à l’envers. Conséquences. https://www.sectioncliniquedenice.fr/assets/cnn-13.pdf
[2] Cf. Laurent É., « L’enfant à l’envers des familles », La Cause freudienne, n°65, mars 2007, p. 50. Il cite le « Rapport de la mission de l’Assemblée nationale sur la famille, cité in Chemin A. “On ne se marie plus, mais on fait des enfants”, Le Monde, 17 octobre 2006. »
[3] Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », La Lettre mensuelle, n° 250, p. 9.
[4] Cf. ibid.
[5] Cf. Doucet C., « Le secret de la transmission », L’Hebdo-Blog, 1 juin 2019, n° 174, https://www.hebdo-blog.fr/secret-de-transmission/#_ftn
[6] Cf. Stevens A., Soirée de préparation JIE6 du 27 janvier 2021, inédit.
[7] Cf. Laurent D., « Techno-maternités. L’illimité du désir d’enfant », Être mère, Paris, Navarin, 2014, p. 28.
[8] Cf. De Georges Ch., La famille œdipienne à l’envers. Op. cit.
[9] Miller J.-A., « Des gays en analyse ? Intervention conclusive au Colloque franco-italien de Nice sur ce thème », La Cause freudienne, octobre 2003, n°55, p. 49.
[10] Cf. Laurent D., « Techno-maternités… » Op.cit., p. 41.