Depuis quelques années, en Europe, dans chaque rapport préparatoire aux lois sociales concernant la famille et la filiation, le signifiant famille est forclos à la faveur du néologisme de parentalité.
La famille réduit à un néologisme
Ce néologisme n’est-il pas le témoin de la fin de la famille traditionnelle construite sur le Nom-du-père au profit de la famille « résidu [1] » à géométrie variable ? Ce signifiant tout seul de parentalité qui vient remplacer ceux de père et de mère est de l’époque de l’Autre qui n’existe pas.
Dans les années 1950, cette notion fait son apparition dans le champ psy mais c’est en 1995 qu’une définition est établie dans le Dictionnaire critique de l’action sociale. La parentalité « désigne d’une façon large la fonction d’être parent, en y incluant à la fois des responsabilités juridiques telles que la loi les définit, des responsabilités morales telles que la socio-culture les impose, et des responsabilités éducatives [2] ». L’accent est mis sur l’aspect normatif des rôles parentaux où le droit est appelé à la rescousse, lui faisant jouer une partie qui n’est pas la sienne.
Pour la psychanalyse lacanienne, être mère, être père ne relèvent ni de la revendication à l’être ni de la volonté d’avoir un enfant. L’enseignement de Jacques Lacan désigne comme essentielles, les fonctions toujours contingentes de la mère et du père en tant qu’elles mettent l’enfant sur le chemin de devenir une grande personne.
Parents en formation
Depuis plus d’une vingtaine d’années, les politiques publiques préconisent l’aide à la parentalité visant à produire des parents compétents et épris de gestion.
Pour y parvenir, la formation des parents est requise. Cette nouveauté qui apparaît dans le discours indique qu’il y aurait un savoir à consommer pour s’atteler à la tâche de parent.
Des prémices de cette formation se trouvent dans les initiatives pionnières au début du XXème siècle sur le modèle des « écoles des mères » destinées aux mères de famille et aux jeunes filles des classes populaires ayant pour but de lutter contre le fléau de la mortalité infantile et des erreurs éducatives de la classe ouvrière. Après la Première Guerre mondiale, elles se multiplient en lien avec les bouleversements que celle-ci a entraînés au sein de la famille : émancipation de la femme par le travail, remise en question de l’autorité paternelle, limitation volontaire de la taille de la famille, et accroissement du souci éducatif.
La « crise de 29 » réhabilite la famille nucléaire comme le dernier rempart contre les débordements de jouissance qui conduisent l’autorité paternelle à sa perte. De façon concomitante, le développement de la psychologie et de la psychanalyse de l’enfant commence à répandre l’idée que les attitudes des parents sont susceptibles d’entraîner des troubles chez l’enfant avec comme corollaire la rééducation des parents stigmatisés piètres éducateurs. Ceci est à l’origine de la création de l’École des parents.
Mais cette instruction est en impasse à empêcher l’éclatement de la structure familiale. Aussi, dans les années 80, la parentalité vient comme chant du cygne tenter de rafistoler cette fameuse autorité déjà engloutie et répondre aux nouvelles formes de la famille et au nouveau statut de l’enfant.
La formation recommandée peut prendre des formes diverses et variées : logiciels, conférences sur les lieux de travail des parents, groupe de pairs, coaching, programme de formations référencées aux avatars de la science portant en son sein la forclusion du sujet. Elle vise à l’obtention de compétences parentales qui, pour le bien-être de tous – parents, enfants, enseignants, … –, éradique le symptôme.
L’éducation freudienne
Dès son invention, la psychanalyse découvre que quelque chose chez l’enfant ne s’éduque pas et ne s’éduquera jamais, quelle que soit la volonté du père, de la mère, Freud lui donne le nom de pulsion.
Au-delà des besoins éducatifs, l’éducation freudienne est celle de la transmission en jeu dans la famille nouée à la fonction du désir et à l’amour. Aussi, la mère, le père sont-ils dans une position intenable. Et à partir de cette considération, l’enfant a une chance de sortir de l’enfance vers sa propre responsabilité.
Dans Le triomphe de la religion, Lacan indique que l’homme « fait son éducation tout seul. […] Il faut bien qu’il apprenne quelque chose, qu’il en bave un peu. […] Il faut une certaine éducation pour que les hommes parviennent à se supporter entre eux [3] ».
Les débats actuels revendiquent « le droit à » mais pour continuer de désirer, une attente est nécessaire, que le droit vient combler.
Photographie : ©Nathalie Crame
[1] Lacan. J., « Note sur l’enfant » (1969), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.
[2] Barreyre J.-Y., Bouquet Br., Chantreau A., Lassus P. (s/dir.), Dictionnaire critique de l’action sociale, Bayard éditions, 1995, p. 269-270.
[3] Lacan J., Le triomphe de la religion précédé de Discours aux catholiques, Paris, Seuil, 2005, p. 71.